Nombreux sont les messages que je reçois sur le site faisant état de successions ou de divorces interminables, en raison de recours exercés systématiquement.
Intention de nuire, volonté de rester dans un bien immobilier appartenant à la succession ou aux ex-époux et donc de faire durer la procédure de partage, volonté de faire durer la procédure de divorce pour bénéficier d’une pension alimentaire au titre du devoir de secours : les motivations sont diverses et variées.
Les messages des lecteurs du site contiennent quasiment tous la même question :
Existe t-il un moyen de mettre à un terme à ces procédures perçues comme abusives et dilatoires ?
Peut-on obtenir des dommages-intérêts ?
Tout d’abord, il convient de rappeler qu’ester en justice est un droit et que faire examiner son cas une nouvelle fois par une juridiction d’appel en est un également, au moins en principe.
Toutefois, ce droit d’ester en justice peut dégénérer en abus, notamment quand le demandeur sait qu’il n’a aucune chance de voir son recours aboutir (absence de moyen sérieux) ou qu’il ne forme en réalité aucune demande.
Multiplier les procédures peut-il être sanctionné ?
Le Code de Procédure civile prévoit une sanction à l’article 32-1.
Cet article dispose :
« Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. »
Il convient tout de suite de préciser qu’il s’agit d’une amende, et que par conséquent lorsque les Tribunaux font usage de ce texte, c’est le Trésor Public qui perçoit la somme et non pas la partie adverse.
Dans un rapport de la Cour de cassation intitulé « LE PRONONCE DES AMENDES CIVILES PAR LES CHAMBRES CIVILES DE LA COUR DE CASSATION 2000-2011 », la Cour de cassation estimait qu’environ 1 à 2% des décisions rendues étaient assorties de l’amende civile de l’article 32-1 du Code de procédure civile pour procédure abusive et dilatoire (ce taux étant porté à 25% dans les affaires en récusation ou suspicion légitime).
Ce même rapport indique que lorsqu’une amende est prononcée, le montant moyen est de 1.828€ (moyenne pour les affaires ayant été examinées par la Cour de cassation).
Ce rapport confirme donc que l’amende civile, reste donc l’exception, l’accès à la justice restant un droit.
Afin d’apprécier s’il y a lieu de sanctionner la partie d’une amende civile, le Tribunal va donc examiner si la partie a eu un comportement reprochable.
Si la juridiction estime que le justiciable n’avait pas de certitude de connaître l’issue de l’instance, il n’y aura pas en général d’amende civile.
Quelques exemples de décisions dans lesquelles il a été retenu un abus d’ester en justice :
- dans une affaire post-divorce : « Que dans ces conditions, le maintien de l’ appel après tant d’années, uniquement avec le but de prolonger à l’infini un conflit qui n’a plus lieu d’être et de retarder à l’excès la liquidation effective du régime matrimonial et le paiement des sommes qui en résultent, justifie qu’il soit condamné, en application de l’article 32-1 du code de procédure civile, au paiement d’une amende civile de 1 500 € » Cour d’appel, Paris, Pôle 2, chambre 1, 20 Mars 2012 – n° 10/23269
- dans une affaire concernant la résidence d’un enfant : « L’appelante doit être condamnée à une amende civile de 1.000 euros en raison de son acharnement procédural. En effet, son appel ne contient aucun moyen utile, malgré les précédentes décisions qui ont toutes sanctionné son comportement, et, elle renouvelle sans cesse des demandes non justifiées qui ne peuvent qu’échouer mais qui contraignent l’intimé à engager des frais de procédure puisqu’il ne bénéficie pas de l’aide juridictionnelle comme l’appelante (Cour d’appel de POITIERS, 3ème Civ, 1er Juin 2005, affaire où la mère avait déjà été condamnée pour de fausses attestations)
En dehors de l’amende de l’article 32-1 du Code de Procédure civile qui est recouvrée par le Trésor Public, la partie adverse qui doit faire face à un recours qu’elle estime abusif, peut solliciter des dommages-intérêts.
Quelques exemples de décisions allouant à la partie adverse en raison d’un acharnement procédural, des dommages-intérêts :
- procédure de liquidation d’un régime matrimonial après un divorce prononcé en 2009 : » La liquidation des intérêts patrimoniaux des époux a donné lieu à deux jugements rendus par le tribunal de grande instance , dont le dernier frappé d’appel.
Madame X. a, alors qu’elle n’avait aucun argument sérieux de contestation, utilisé les procédures à des fins dilatoires. Elle a ainsi obtenu des délais supérieurs à ceux prévus à l’article 1244-1 du code civil. » Cour d’appel d’ Angers, 1re chambre, section B, 22 Février 2016)
- procédure de liquidation-partage dans le cadre d’un partage successoral dans laquelle un arrêt de Cour d’appel avait déjà été prononcé en 1998 (soit plus de douze années de procédure » : « Par son attitude dilatoire, l’héritière a retardé le règlement des opérations de liquidation et de partage, causant ainsi un préjudice aux autres héritiers, de sorte qu’il convient de confirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à verser à chacun d’eux la somme de 10 000 euros à titre dedommages-intérêts. Il y a lieu en outre de la condamner à leur payer une nouvelle somme de 10 000 euros pour avoir encore retardé l’issue dupartage en interjetant appel dans un but manifestement dilatoire. » Cour d’appel de Paris, Pôle 3, chambre 1, 15 Septembre 2010, Répertoire Général : 09/09257)
- dans une affaire de divorce en cours depuis 4 ans où des dommages-intérêts avaient été mis à la charge de l’appelant : « QU’il n’est pas contestable que cette procédure d’appel, qui n’est ni motivée ni justifiée, et dont le seul effet est de retarder le prononcé du divorce, constitue un abus du droit d’ester en justice et justifie la condamnation de son auteur au paiement de dommages et intérêts, dont le montant sera justement arbitré à la somme de 1.000 euros » ; Cour de cassation, 1ère civ, 13 janvier 2016, N° de pourvoi: 14-29064
- dans une procédure de liquidation-partage successorale où le décès remontait à 15 ans, la procédure avait duré 12 ans et neuf décisions judiciaires avaient été rendues « »Attendu que le comportement adopté par Monsieur X en cause d’appel est caractéristique d’un abus procédural au sens de l’article 32-1 du Code de Procédure Civile, en ce qu’il s’est employé à remettre en cause des dispositions résultant de décisions de justice ayant acquis force de chose jugée. Attendu qu’un tel comportement sera sanctionné par une amende civile d’un montant de 2.000 € que Monsieur Philippe X sera condamné à régler au Trésor Public », l’appelant est en outre condamnée à verser à chacun de ses co-héritiers la somme de 2.000€ à titre de dommages-intérêts et 1.500€ d’article 700 (Cour d’appel, Pau, 2e chambre, 2e section, 15 Mai 2018 –RG n° 16/01640)
- procédure relative au paiement d’une prestation compensatoire dans laquelle le débiteur avait introduit plusieurs procédures dans des délais très rapprochés dans le même but : » Attendu que madame X justifie qu’alors même que M. Y avait été débouté de sa demande en diminution de la rente viagère par des jugements rendus à un an d’intervalle monsieur Y n’a plus versé la rente viagère depuis 3 ans et a, accompagné de cinq avocats différents, engagé six procédures successives en moins d’un an » Cour d’appel de Lyon, 2e chambre B, 26 Janvier 2016, Répertoire Général : 14/05136. Dans cette affaire, la Cour d’appel a octroyé 3.000€ de dommages-intérêts à l’ex-épouse
En résumé, l’amende civile et les dommages-intérêts restent rarement octroyés par les juridictions et de telles demandes doivent donc être soigneusement motivées pour être accordées.
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